L’élevage camelin du Parc National du Banc d’Arguin (Mauritanie)
(avril 2009)

Le Parc National du banc d’Arguin (PNBA) est un territoire protégé de 12 000 km2, prévu à l’origine pour la conservation des oiseaux marins et la faune benthique. Il est, à ce titre, le plus grand parc de côtier d’Afrique et occupe près de 180 km du littoral mauritanien (carte). Il est réparti de manière à peu près égale entre un domaine continental (5500 km²) et un domaine maritime (6500 km²). Sa partie terrestre appartient dans sa totalité au domaine saharien.

La plus grande partie de la faune terrestre sauvage du PNBA s’est éteinte au cours du XXe à cause de conditions climatiques défavorables mais aussi, et surtout à cause du braconnage. Les carnivores sauvages (guépard) ont disparu dans les années 30, les grands herbivores sauvages (Oryx algazelle, phacochère…) ainsi que certains oiseaux comme les autruches à cou rouge (Struthio camelus camelus) vers les années 1959-1960.


Carte de situation du
Parc National du Banc d’Arguin © PNBA

Mais la partie terrestre du PNBA est également occupée de manière discrète par des pasteurs nomades depuis plusieurs siècles. Ces derniers mènent un mode de vie basé sur un système pastoral extensif en élevant des dromadaires et, dans une moindre mesure, des chèvres et des moutons. Le mode de vie a guère évolué : les campements se déplacent par petits groupes tributaires à la fois des points d’eau, dont beaucoup restent temporaires, et des pâturages dont certains sont semi-permanents (arbres, buissons et graminées vivaces) mais dont beaucoup, et parmi les meilleurs, dépendent des rares pluies : les éphémérophytes « acheb », végétation fugace, verte et succulente que font pousser les rares averses efficaces. Ces pasteurs nomades se fixent en leur point d’attache, généralement non loin des puits, où ils campent pendant la saison sèche chaude. Cependant certaines parties du parc comme l’île de Tîdra, ou le Foum el Trig sont abandonnés par les nomades du fait des sécheresses récurrentes.

Autrefois, les nomades venaient avec leurs dromadaires ou, plus souvent, avec des ânes, chercher des chargements de poissons secs, échangés contre du mil, des petits ruminants… Le village de Mamghar par exemple était un marché florissant et aussi un carrefour de troc entre nomades et Imraguen, les pêcheurs du PNBA. Ce village, d’habitude, peu peuplé, voyait régulièrement les effectifs de sa population augmenter à certaines périodes de l’année du fait de l’arrivée massive de nomades commerçants chargés de marchandises. Aujourd’hui, la plupart des Imraguen possédent également des dromadaires et des petits ruminants qu’ils confient aux nomades ou à des bergers salariés. Pendant la saison des pluies des bonnes années, les femmes et les enfants Imraguen migrent en brousse (partie terrestre du PNBA) avec des provisions (poissons secs) pour une cure de lait chez les pasteurs nomades. En saison sèche, ces populations Imraguen regagnent le littoral pour rejoindre leurs hommes qui sont restés en mer pour pêcher.


Le PNBA entre océan et désert

La place de l’élevage camelin dans le PNBA

La Mauritanie dans son ensemble, est un pays où l’élevage camelin est quasi-prépondérant sur la majeure partie de son territoire. Le caractère entièrement désertique de la zone place bien entendu la Mauritanie parmi les « nations du chameau ». La population caméline y est estimée à 1,5 millions de têtes (FAOstat, 2007), mais cet effectif est probablement en dessous de la réalité. Le parc du Banc d’Arguin, situé en pleine zone saharienne, est un territoire à vocation pastorale où le dromadaire est l’animal domestique prédominant, seul capable de valoriser au mieux l’espace continental du parc. L’effectif de l’élevage camelin au sein du PNBA est mal connu car l’information est difficile à obtenir auprès d’éleveurs souvent réticents à répondre à cette question. De plus, la population varie considérablement en fonction de la disponibilité des ressources fourragères. Dans les enquêtes réalisées en 2008 portant sur 62 campements, seuls 34 ont validé les données. Dans ces campements, la population du cheptel serait au total de 1627 dromadaires (présents dans 30 campements seulement), 2872 petits ruminants (33 campements), 12 bovins (2 campements) et 50 ânes (14 campements) (données de juin-août 2008). On peut raisonnablement considérer que la population caméline totale du parc est d’environ 3000 à 3500 têtes et qu’elle représente plus de 80% de la Biomasse Herbivore Domestique (BHD) de la zone (poids total des dromadaires rapporté au poids total des herbivores en UBT).


Rassemblement autour d’un puit

Les effectifs par campement sont en majorité inférieurs à 100 têtes et la population caméline varie de 0 à 230 têtes sur l’ensemble du parc (fig. 1), avec une moyenne de 50 têtes. On observe à l’intérieur des campements, un lien entre le nombre de dromadaires et celui des petits ruminants, attestant des processus de capitalisation du bétail s’appuyant sur plusieurs espèces.


Figure 1. Histogramme de répartition des effectifs
de dromadaires dans les campements du PNBA - © PNBA

Rapporté à la capacité d’ingestion moyenne, le troupeau camelin prélève 84% de la biomasse utilisée par l’ensemble des herbivores, soit environ 15 tonnes de matières sèches par jour. C’est dire qu’en termes d’impact sur l’environnement, la population des petits ruminants reste marginale par rapport à celle des dromadaires. Toutefois, cette affirmation est à moduler car la pression des petits ruminants, astreints normalement à un abreuvement quasi-quotidien limitent leur rayon d’action sur les parcours, contrairement aux dromadaires. L’analyse typologique montre qu’hormis les rares « gros éleveurs » et les éleveurs possédant des bovins, il y a peu de variabilité dans la population des éleveurs du parc du point de vue de l’effectif de leurs troupeaux. Cependant, si on se base sur un seuil de pauvreté de 5 dromadaires et de 10 chèvres, le nombre d’éleveurs pauvres représente près de 25% des éleveurs recensés dans le PNBA et presque tous n’ont pas ou peu de dromadaires. Le dromadaire est l’animal susceptible d’atténuer la paupérisation des éleveurs du parc. Pour sortir de cette situation, souvent aggravée par la sècheresse, des stratégies de diversification des activités ont été tentées. On se reportera sur ce point sur les travaux de Correra et al., 20081 .


Chamelle et son petit au PNBA

L’élevage camelin au sein du PNBA est mis en œuvre sous une forme extensive avec pâturage ambulatoire sans gardiennage (divagation) en saison sèche froide et gardiennage pendant les périodes de pluie afin de guider les troupeaux vers les zones favorables. Les aires de pâture, notamment en saison sèche froide ou les années de sécheresse, peuvent concerner ainsi des zones très éloignées des campements sachant que les animaux reviennent régulièrement (une fois par semaine) vers les points d’eau attachés au campement dès l’arrivée des grandes chaleurs en avril-mai.

L’arrivée au point d’eau
Toutefois, les grands troupeaux peuvent être sous la garde de bergers ou de tributaires, mais gérés sur des parcours indépendants de l’emplacement des campements à l’intérieur du parc. Globalement, la gestion des parcours pastoraux apparaît extrêmement « opportunistes », c’est-à-dire entièrement sous la dépendance des pluies et donc des ressources fourragères disponibles. L’accès à des ressources suffisantes préside entièrement l’utilisation de l’espace, la plupart du temps le choix des zones de parcours relevant de l’instinct des animaux plus que d’une stratégie raisonnée des éleveurs. La répétition des années de sécheresse a affecté les performances de reproduction (en 2008, les éleveurs affirment n’avoir pratiquement observés que quelques naissances), et on ne trouve guère de lait pour l’autoconsommation bien que l’année 2009 s’annonce plus favorable.



Campement nomade dans le PNBA

Vent de sable

Sur le plan de la valorisation, il semble que l’élevage camelin de la zone soit peu intégré dans les circuits marchands :


Chamelles lactantes au PNBA
  • le lait, selon la tradition nomade ne peut être vendu car c’est un don destiné à tous ceux du campement, de la tribu ou aux hôtes de passage. Toutefois, la présence de la route, le passage d’étrangers demandeurs de lait de chamelle incite à une vente, généralement réalisée de nuit (car « c’est une honte de vendre le lait ») dans des petits boutiques placées le long de la route et, en dépit du tabou sur la vente, mentionnées par des pancartes explicites. Le lait est vendu sous forme de lait frais, mais peut être consommé directement sous forme de zrig (lait fermenté coupé d’eau) dans les gargotes le long de la route. Si le lait de chamelle, commercialisé à Nouakchott et transformé dans les laiteries industrielles de la ville (Tiviski, Toplait,…), est le fait de producteurs organisés, le lait produit dans le PNBA et commercialisé de façon informelle le long de la route, est le fait de producteurs totalement inorganisés, répondant à des stratégies purement opportunistes.
  • La viande, est essentiellement destinée à l’autoconsommation car il n’existe aucun marché du bétail dans la zone. Pour les producteurs désirant vendre un animal, il est rare de faire appel à un maquignon. En général, les grands propriétaires emmènent eux-mêmes les animaux destinés à la vente ou à l’abattage sur les marchés de Nouakchott ou de Nouadhibou où ils en tirent un meilleur prix. Toutefois, l’année 2008 ayant été mauvaise, tous les éleveurs affirmaient ne pas pouvoir vendre depuis une année, les animaux étant en mauvais état.

Les périodes de sécheresse répétées
ont affecté aussi le cheptel camelin du Parc

Les points d’eau du PNBA - © PNBA

Conclusion

Le PNBA subit de profonds changements, notamment avec la présence de la route Nouakchott-Nouadhibou longeant la partie orientale du parc, qui rappellent l’importance de l’activité pastorale dans la zone et son impact potentiel sur la durabilité de l’écosystème. La route, à l’évidence, a un effet structurant sur l’espace écologique et économique de la zone. Elle tend à renforcer la semi-sédentarisation des nomades à proximité du PNBA, et contribue à un meilleur accès aux intrants et aux services, facilite aussi l’accès des autorités aux populations locales, et, à ce titre, facilite la valorisation des produits potentiels de l’activité pastorale. Dès lors, la route peut être considérée comme un moteur du développement local que l’émergence d’une nouvelle concentration autour du forage de Chami, à mi-chemin entre Nouakchott et Nouadhibou, concrétise.

Mais il est évident aussi que cette évolution peut avoir des effets péjoratifs sur le milieu par l’augmentation de la pression sur le parc et sa périphérie si cette concentration humaine s’accompagne d’une augmentation notable de la démographie des troupeaux avec une mobilité réduite. Cette pression concerne moins les dromadaires, dont le mode d’élevage demeure hyper-extensif et dont la mobilité doit être encouragée, que les petits ruminants plus dévolus à l’espace autour des campements et des points d’eau, ou a fortiori, que les bovins, trop inféodés à la proximité des ressources hydrauliques.

Les pasteurs doivent aussi pouvoir s’approprier les objectifs de préservation environnementaliste du PNBA, bénéficier des retombées positives de cette préservation, et dans le même temps pouvoir être considérés comme des usagers légitimes du parc, et non comme des intrus.

Note : Toutes les photos sont de B. Faye sauf mention contraire


1 Correra A., Lefeuvre J.C., Faye B., 2009. Organisation spatiale et stratégie d’adaptation des nomades du Parc National du Banc d’Arguin à la sécheresse. Revue Sècheresse, 19 (4), 1-7

 


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