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La bluetongue (ou fièvre catarrhale ovine) : le point chez les camélidés
(avril 2009)
La Bluetongue (BT) qui se traduit en français par Fièvre catarrhale ovine (FCO) est une maladie connue depuis
longtemps (à la fin du XIXéme siècle en Afrique du Sud) en particulier chez le mouton. Elle est revenue au premier plan de
l’actualité épidémiologique depuis son apparition intempestive en Europe depuis moins d’une décennie alors qu’elle était jusqu’à
présent confinée au continent africain. A ce titre, elle représente le prototype même de la maladie émergente qu’on associe
volontiers aux changements climatiques. Et bien qu’elle affecte plus particulièrement les moutons, ce qui lui vaut sa dénomination
en français, elle touche aussi d’autres espèces de ruminants. Qu’en est-il exactement chez les camélidés ?
Petit rappel succinct.
La FCO est une maladie virale (orbivirose) à propagation vectorielle ce qui signifie que le virus responsable
a besoin d’un vecteur de propagation, en l’occurrence un petit moucheron piqueur du genre Culicoïdes, qui a défaut d’avoir une
taille importante (entre 1 et 3 mm) peuvent être dangereux pour de nombreuses espèces (y compris l’homme) car vecteurs potentiels
de plusieurs maladies. La FCO fait partie du lot.
Il existe de nombreux sérotypes plus ou moins pathogènes, et la maladie s’exprime généralement par une cyanose
des membranes muqueuses de la cavité buccale et nasale (d’où la dénomination « langue bleue » en anglais), mais aussi par des
œdèmes de la tête et du cou, une inflammation et une ulcération de la bouche. Les taux de mortalité peuvent être élevés en cas
de graves épizooties, en particulier chez le mouton, espèce la plus sensible. Pour en savoir plus, on pourra utilement se référer
au site du CIRAD consacré à la maladie (http://bluetongue.cirad.fr)
La FCO chez les camélidés : éléments sérologiques
Il existe quelques références attestant du passage du virus chez les petits et les grands camélidés. Chez le
dromadaire au Soudan, une enquête sérologique (Abu Elzein, 1985) a mise en évidence une prévalence de séropositifs de 16,6% en
moyenne sur 445 sérums provenant de diverses régions du pays. Des références plus anciennes (Eisa, 1980) évoquent des taux même
plus faibles (4,9%) dans ce pays où la prévalence chez les moutons atteint 73%, et chez les bovins de 93%. En Egypte, les taux de
séroprévalence positive chez les dromadaires ne semblent pas dépasser 14,3 % (Hafez et Ozawa, 1973) et des valeurs comparables
sont observées au Yémen (Stanley, 1990). Aux Emirats Arabes Unis, un dépistage portant sur plus de 1000 animaux, a permis de détecter
moins de 1% de séropositifs, alors que localement, 35% des moutons sont positifs (Wernery et Kaaden, 2002). En Iran, Afshar et
Kayvanfar relève un taux de 5,9%. En Inde, Chandel et Kher (1999) rapportent une séroprévalence de 9,3% sur un échantillon de
150 animaux. Il n’y a guère qu’en Arabie Saoudite que des chiffres bien plus élevés sont évoqués (Wernery et Kaaden, 2002). Ces
quelques résultats, encore peu nombreux, semble indiquer que le dromadaire (il n’y a pas de références disponibles sur le chameau
de Bactriane) est moins susceptible que les autres ruminants à la maladie.
Chez les petits camélidés andins (lama, alpaca), il existe également quelques références faisant état de séroprévalence de l’ordre
de 20%, au Pérou (Rivera et al., 1987).
Signes cliniques et isolation du virus
La sérologie ne fait que révéler le passage du virus dans un organisme et la réaction immunitaire de l’animal. Il ne
permet pas d’attester de la sensibilité de l’animal à la maladie. Or jusqu’à une date récente, aucun signe clinique n’avait été
répertorié chez le dromadaire semblant indiquer qu’au moins les grands camélidés n’étaient pas sensible à la FCO. Cependant, en 2006,
un rapport scientifique établi en Iran (Mahdavi et al., 2006) fait état de sérologie positive sur 5 chamelles gestantes parmi 10
atteintes de fièvre, œdème du museau, hyperémie de l’œil et de la muqueuse buccale, toute lésion pouvant évoquer la FCO. Toutefois,
dans aucun des cas, le virus n’a pu être isolé.
Chez le lama, un cas de syndrome respiratoire et d’avortement chez un animal FCO séropositif a pu être décrit
(Fowler, 1998). Cependant, là aussi le virus n’a pas pu être isolé. Un cas très controversé de mort chez un lama en Allemagne a été
rapporté également. Plusieurs observations faites dans des troupeaux mixtes lama/mouton ou alpaca/mouton où la FCO est cliniquement
présente montrent certes la présence d’anticorps chez les petits camélidés (notamment le sérotype 8 présent en Europe), mais aucun
signe clinique n’a pu être remarqué. En revanche, quelques cas de mortalité brutale chez des lamas présentant des lésions semblables
à celles des moutons atteints de FCO ont été rapportés dans le Sud de la France incriminant le sérotype 1 de la FCO. Mais là aussi,
la conclusion ne s’est pas avérée certaine (voir le site
http://pagesperso-orange.fr/lama.giudicelli/).
Par ailleurs les erreurs de diagnostic, du moins à partir des méthodes rapportées dans la littérature un peu
ancienne, ne doivent pas être sous-estimées. Ce pourquoi, le groupe ad-hoc « maladies des camélidés » de l’OIE (Office international
des épizooties) a proposé d’établir l’utilisation du test c-ELISA comme test diagnostic officiel et a donné comme recommandations
d’approfondir les travaux (i) sur la susceptibilité des camélidés aux souches hautement virulentes et aux différents sérotypes du
virus de la FCO, et (ii) sur la durée de la virémie en cas d’affection virale avérée.
Prévention et contrôle
Outre la lutte contre les vecteurs, la principale prévention s’appuie sur la vaccination avec la souche appropriée.
Dans les pays d’élevage des camélidés, la vaccination n’a jamais été utilisée et encore moins testée. Par ailleurs, bien que la
vaccination des camélidés soit désormais obligatoire en Europe pour les animaux susceptibles de se déplacer en zone d’endémie, la
réponse immunitaire n’a jamais été réellement étudiée chez ces espèces. En l’absence de tests spécifiques, l’efficacité du vaccin
chez les camélidés reste à prouver.
Conclusion provisoire
Il n’y a pas de preuve formelle et avérée que les camélidés puissent être des porteurs potentiels ou une source de
contamination pour les autres animaux. Aucune référence, aucun rapport ne fait mention du rôle potentiel des camélidés dans la
propagation de la maladie. Et à part la référence iranienne peu explicite sur la présence de signe clinique, et quelques rares cas
formulés chez le lama, la maladie n’a jamais vraiment été décrite de façon certaine. En tout état de cause, l’isolement du virus
n’a jamais pu être établi aussi bien chez les petits camélidés que chez les dromadaires, hormis les cas rapportés sur les lamas
dans le sud de la France.
Dès lors, nombreux sont ceux qui se posent la question de l’intérêt de la vaccination pour ce type d’animaux.
Il est peu probable qu’elle ait un intérêt quelconque pour les grands camélidés. Les associations d’éleveurs de lama en revanche,
serait favorable à la protection des petits camélidés contre le sérotype 8 bien que ni la réaction immunitaire, ni les conséquences
vaccinales (notamment sur la reproduction) n’aient pu être évaluées. Il est vrai que face au sacro-saint principe de précaution,
il n’est guère d’alternative. Mais celui-ci et dans ce cas précis, s’appuie plus sur une prudence globale et peu explicite plutôt
que sur des faits scientifiques avérés.
Références citées
Abu Elzein E., 1985. Bluetongue in camels : a seriological survey of the one-humped camel (Camelus dromedarius) in the Sudan. Rev; Elev. Méd. Vét. Pays trop., 38, 438-442
Afshar A., Kayvanfar H., 1974. Occurrence of precipating antibodies to bluetongue virus in sera of farm animals in Iran. Vet Rec., 94, 233-234
Chandel B.S., Kher H.N., 1999. Seroprevalence of bluetongue in dromedary camels in Gujarat, India. J. Camel Pract. Res.,6, 83-85
Eisa M., 1980. Considerations on bluetongue in the Sudan. Bull. Off. Int. Epiz., 92, 491-500
Hafez S.M., Ozawa, Y., 1973. Serological survey of bluetongue in Egypt. Bull. Epizoot. Dis. Afr., 21, 297-303
Fowler M.E., 1998. Medicine and surgery of South American Camelids. Iowa State University Press, Ames.
Mahdavi S., Khedmati K., Pishraft Sabet I., 2006. Serologic evidence of bluetongue infection in one-humped camel (Camelus dromedarius) in Kerman province, Iran. Iranian J. Vet. Res., Shiraz Univ., 7, 85-87
Rivera H., Madwell B.R., Ameghina E., 1987. Serological survey of viral antibodies in the Peruvian alpaca (Llama pacos). Am. J. Vet. Res., 48, 189-191
Stanley M.J., 1990. Prevalence of bluetongue precipitating antibodies in domesticated animals in yemen Arab Republic. Trop. Anim. Hlth. Prod., 22, 163-164
Wernery U., Kaaden O.R. 2002. Infectious diseases in camelids. Chapter: Bluetongue. Blackwell Sciences Publ., Berlin, p.214-217
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