Connaissances ethnovétérinaires des pathologies camélines dominantes chez les Touaregs de la région d’Agadez (Niger)
(juin 2006)

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Antoine-Moussiaux A.1, Faye B.2*, Vias G. 3

  1. Faculté de Médecine Vétérinaire ULg, Département Productions Animales 20, boulevard de Colonster, (Sart Tilman B43) , 4000, Liège, Belgique
  2. CIRAD-EMVT, Campus International de baillarguet TA 30/A, 34398 Montpellier cedex, France
  3. CAPEN, ONG Karkara, Niamey, Niger

RESUME

Depuis des générations, les éleveurs nomades ont appris à gérer la santé de leurs troupeaux, et particulièrement de leurs dromadaires du fait de la grande valeur financière de ceux-ci et du capital qu'ils représentent. Ils ont ainsi acquis une connaissance très fine des signes de maladies dans cette espèce, qu'ils classent et nomment selon des systèmes spécifiques. La présente étude s'intéresse à ces connaissances ethnovétérinaires par le biais d'une enquête réalisée auprès d'éleveurs Touaregs du Niger vivant dans les alentours d'Agadez et vise à en rechercher la correspondance avec les connaissances scientifiques actuelles. Les dominantes pathologiques ainsi signalées par les éleveurs comme les plus préoccupantes à leur sens sont les verminoses gastro-intestinales (izni), la diarrhée du chamelon (efay), les infestations par les tiques chez le chamelon (igardan), la variole (erk echik), la gale sarcoptique (ajoud) et les broncho-pneumonies (toza). La présence d'entités mal identifiées est également signalée.

ABSTRACT

Through the generations, nomad breeders have been learning about health management of their herds in general and their dromedaries in particular due to the high value of these ones. As a result, they acquired a very good knowledge of the signs of illness in camels, which they recognize and call following their own classification. The present study tries to learn about this ethnoveterinary diagnostic knowledge by a survey among touareg breeders living around Agadez in Niger and attempts to establish the link with modern scientific knowledge. The so determined major pathologies are the gastrointestinal helminthiasis (izni), the camel calf diarrhoea (efay), the tick's infestations of camel calves (igardan), the camelpox (erk echik), the sarcoptic mange (ajud) and the bronchopneumonia (toza). Non identified entities are also reported.

INTRODUCTION

Au Niger, pays au climat sahélien sur la majeure partie du territoire, l'élevage de dromadaire est principalement le fait des Touaregs, des Toubous et des Arabes. Cette activité est essentiellement tournée vers la production laitière pour l'autoconsommation, bien que la consommation de viande par les populations citadines ne soit pas négligeable. Pour ces populations pastorales, le dromadaire, de par sa valeur marchande élevée, représente un véritable capital qu'il convient de conserver précieusement et dont seules des circonstances exceptionnelles peuvent justifier la mobilisation.
Au fil des générations, les éleveurs ont appris à gérer au mieux leurs troupeaux et les maigres ressources naturelles dont ils disposent. Ils ont ainsi développé une grande expertise des maladies du dromadaire, de leur diagnostic, leurs conséquences, leur prévention et leurs traitements en s'appuyant le plus souvent sur une pharmacopée traditionnelle. Dans le cadre de l'aide au développement de l'élevage dans les régions marginalisées, la connaissance et la valorisation de ces savoirs ethnovétérinaires sont primordiales, leur prise en considération par les services vétérinaires professionnels étant, entre autres utilités, indispensable à la compréhension des deux parties et ainsi à l'intégration appropriée, harmonieuse et dès lors efficace de la médecine vétérinaire moderne en tant que facteur de développement.
Le but de cet article est de présenter la vision touarègue de la pathologie caméline par le biais d'une liste d'entités pathologiques vernaculaires, brièvement décrites, qui seront mises en rapport avec les entités scientifiques actuellement connues.

MATERIEL ET METHODES

1. Enquête

L'enquête s'est déroulée de novembre 2003 à janvier 2004, période correspondant au début de la saison sèche et froide faisant suite à la saison des pluies. Elle a été principalement mise en oeuvre au travers de discussions avec les éleveurs participant au circuit de collecte de lait organisé pour la laiterie Azla Saveur, son directeur jouant le rôle d'introducteur et d'interprète. Ces discussions furent répétées à maintes reprises durant les deux mois et demi du séjour sur place, permettant ainsi d'instaurer peu à peu un climat de confiance nécessaire et de laisser apparaître des détails ou précisions d'importance que seule une longue réflexion pouvait leur permettre de retrouver et, le cas échéant, de les confronter aux témoignages les uns des autres. Des éleveurs d'autres zones, de passage à Agadez, furent également interrogés.
Les questions systématiquement posées portaient sur les pathologies ayant la plus grande importance à leurs yeux chez le dromadaire, que cela soit du fait de leur fréquence ou de leur gravité : les symptômes, l'évolution de ceux-ci, l'éventuelle saisonnalité, les classes d'âges préférentiellement touchées, les traitements traditionnels existants, l'efficacité de ceux-ci ainsi que leurs interprétations personnelles quant aux causes de ces pathologies étaient relevés. Les pathologies plus anecdotiques furent également répertoriées ou spontanément rapportées par les enquêtés permettant ainsi d'avoir une vision plus complète du sujet.

2. Les éleveurs

Au total, 25 éleveurs Touaregs ont participé à l'enquête. Aucune personne interrogée n'était spécialisée dans le diagnostic et le traitement des maladies animales. Ainsi, chacun des éleveurs avait une connaissance assez complète de la question et pratiquait lui-même la médecine ethnovétérinaire. Toutefois, certains éleveurs étaient considérés par les autres comme spécialement habiles concernant l'une ou l'autre intervention de type chirurgical.
Les éleveurs participant au circuit de collecte du lait vivaient dans un rayon d'approximativement 40 km autour d'Agadez, les plus proches étant situés à 7 km à l'ouest de la ville, dans le campement d'Ekirkiwi. Les autres campements se nommaient Oureil, à 9 km à l'ouest, Kourboubou, à 25 km à l'ouest, Tiffayan Inyal, à 38 km au sud-est, et Tassakh n’Talamt, à 8 km à l'est. Ils pratiquaient ce qu'il pourrait convenir d'appeler du " micro-nomadisme ", leurs déplacements durant l'année ne se faisant qu'au sein d'un rayon contenu entre 5 et 10 km sur leur " terroir d’attache ". Les éleveurs du campement nommé Tiffayan Inyal, situé au sud-est d'Agadez étaient toutefois susceptibles de pratiquer de plus grands déplacements, pouvant aller jusqu'à 50 km en direction du Sud durant la saison sèche et chaude (de juin à fin juillet). Les autres éleveurs étaient originaires de zones plus éloignées telles que celle de Timia (2 éleveurs), oasis située à 220 km au nord-est d'Agadez, ou même de celle d'Arlit (zone Tamesna), ville minière située à environ 230 km au nord nord-ouest d'Agadez.

RESULTATS

Les résultats sont présentés par les descriptions des pathologies sous leurs dénominations tamachèques telles qu'elles furent recueillies. Les entités sont regroupées selon leur type en atteintes générales, cutanées, respiratoires, digestives, locomotrices et nerveuses, lésions localisées et intoxications. Au sein de chaque type, les entités apparaissent par ordre d'importance rapportée par les éleveurs.

1. Atteintes Générales

Izni (photo 1): Deux syndromes distincts sont rassemblés sous cette dénomination. Le premier, de cours chronique, est un amaigrissement prononcé accompagné d'anorexie et est attribué à l'absorption d'eau croupie, de plantes proches de points d'eau et surtout à la sous-alimentation. Les éleveurs exprimaient fréquemment l'idée que cette forme d'izni était à la base de toutes les autres maladies qui profitaient dès lors de la faiblesse de l'animal. Dans le deuxième syndrome, de cours aigu, l'animal atteint s'isole, baraque, larmoie et a le poil hérissé. La cause invoquée dans ce cas est le surmenage d'animaux non entraînés.
Izni signifiant " sang " en Tamacheq, les pasteurs expliquent que la maladie, quelle que soit sa forme, est en réalité due à une " surcharge en mauvais sang ", la saignée en étant le traitement traditionnel le plus classique.

Izni
Photo 1: Izni : dromadaire cachectique, le diagnostic différentiel de base de cette affection
sont, chez le dromadaire, les verminoses gastro-intestinales et la trypanosomose.
(Photo N. Antoine-Moussaux)

Tataryat : Il s'agit d'une affection mortelle évoluant classiquement en trois jours. La guérison est toutefois possible. Les symptômes sont de l'abattement, un décubitus latéral abandonné, cou allongé et des larmoiements. Quelques éleveurs mentionnent un gonflement de la tête (auge) et du cal sternal.
Tandar : Ce terme signifie " mort brutale ".Les cadavres sont caractérisés par un gonflement et une putréfaction rapides et par le sang s'écoulant des orifices naturels. De l'avis des éleveurs, il s'agit plutôt d'une maladie des petits ruminants qui peut parfois toucher le dromadaire, contrairement à tataryat qui leur est spécifique.
Menchach : Il s'agit d'une maladie caractérisée par un amaigrissement sévère allant jusqu'à l'émaciation et menant à la mort de l'animal. L'appétit est conservé et la maladie, pouvant durer plusieurs années, s'étend sur une période beaucoup plus longue que dans le cas d'izni, ces deux caractéristiques permettant aux éleveurs de distinguer menchach de cette dernière. Les éleveurs rapportent que les poils ont une plus grande tendance à tomber et se détachent facilement à la main. L'odeur de l'urine est également signalée comme très caractéristique. La maladie est, semble-t-il, mieux connue des éleveurs vivant à Tiffayan Inyal du fait de leur migration annuelle vers le Sud où la maladie est plus fréquente. De l'avis de tous les éleveurs interrogés, elle ne présente pas une importance considérable dans la zone d'Agadez.

2. Troubles cutanés et parasitisme externe

Ajoud (photo 2): Les éleveurs décrivent des dépilations étendues, irrégulières, un prurit sévère et une contagion très importante. Les lésions débutent au niveau de la tête et du périnée. L'état général de l'animal atteint peut rester très bon. Des détériorations de celui-ci, voire des mortalités, peuvent toutefois être la conséquence de surinfections bactériennes. Un éventuel caractère anthropozoonotique n'a pas été confirmé par les pasteurs. Concernant l'influence de la saison, c'est durant la saison sèche et froide que les cas sont les plus nombreux et que la contagion se fait le plus facilement, fait à mettre en relation, de l'avis des éleveurs, avec la baisse de température et le regroupement des animaux.

Ajoud
Photo 2 : Ajoud : gale sarcoptique
(photo : Gilles Vias)

Erk echik : Erk echik est décrite comme l'apparition sur les lèvres et autour des yeux de boutons évoluant en lésions croûteuses et pouvant se généraliser. Les surinfections ne sont pas rares. La très forte contagion et l'importante mortalité qu'elle entraîne la placent parmi les contraintes les plus importantes rapportées par les éleveurs. Concernant la transmission, ces derniers soupçonnent l'intervention des épineux (Acacia spp). Les jeunes animaux entre 2 et 5 ans sont préférentiellement touchés, la maladie s'étendant ultérieurement aux adultes. Durant la saison sèche et froide, les formes observées sont particulièrement violentes.
De manière étonnante, cette pathologie, considérée comme majeure par tous les éleveurs vivant autour d'Agadez, est inconnue plus au Nord, en zone Tamesna (région d'Arlit).
Igardan, Igarmêl, Tissullouf : Ce sont les noms donnés aux tiques (photos 3 et 4). Il est à noter que toutes les tiques prélevées sur le terrain appartenaient à la même espèce, Hyalomma dromedarii. Il a pu être dès lors déterminé qu'igardan correspond à la nymphe de celle-ci, igarmêl à la femelle adulte gorgée et tissullouf aux adultes mâles et femelles non-gorgées. Seules les infestations massives des chamelons par igardan sont perçues comme pathologiques par les éleveurs, des symptômes nerveux tels que de la faiblesse, de l'ataxie, des torticolis et des paralysies flasques étant décrits. Les éleveurs décrivent également un lien entre ces infestations et les diarrhées du chamelon, chacune pouvant agir comme facteur affaiblissant favorisant l'apparition de l'autre.

Femelles gorgées de Hyalomma dromedarii fixées au niveau du prépuce
Photo 3: Femelles gorgées de Hyalomma dromedarii fixées au niveau du prépuce.
Les sites de prédilection pour cette espèce de tique sont les narines, la région périnéale
et les oreilles. Les mouches présentes en avant du prépuce et en haut de celui-ci
appartiennent à l'espèce Hippobosca camelina, très présente dans les environs d'Agadez
(photo : Gilles Vias)
Hyalomma dromedarii, femelle adulte et nymphes
Photo 4 : Hyalomma dromedarii, femelle adulte et nymphes.
(photo : Gilles Vias)

Akarê : Les lésions sont apparentées à celles de erk echik mais sont ici limitées au niveau du pourtour des lèvres et consistent en des boutons plus petits. Il n'y a pas de mortalité décrite. Akarê est donc une maladie nettement moins violente que erk-echik mais présente une contagiosité très importante, les éleveurs attribuant également un rôle aux épineux dans cette transmission. Ce sont ici les animaux entre 6 mois et 2 ans qui sont les plus atteints.
Taforê (photo 5) : Cette maladie consiste en des dépilations multifocales, peu ou pas prurigineuses, sans tendance à la généralisation et dépourvues de tout aspect épidémique dans le troupeau, ce qui permet aux éleveurs de clairement la différencier d'ajoud. La maladie affecte plus souvent les jeunes. Et l'ingestion de lait " entassé ", c’est-à-dire lorsque le petit tète à nouveau après une absence de sa mère de plus d'une journée, est incriminé par certains éleveurs comme facteur déclenchant.

Lésions de teigne chez un jeune chamelon
Photo 5: Lésions de teigne chez un jeune chamelon.
Cette affection est dénommée "taforê" en tamacheq
(photo : Gilles Vias)

Worsadas : Il s'agit d'un gonflement cutané, chaud et douloureux pouvant se localiser à n'importe quel endroit avec une certaine préférence toutefois pour le cou. Ces gonflements se rompent spontanément libérant du pus créant de nouvelles lésions sur son passage. La transmission entre individus se fait par contact direct avec le pus ou par le biais de vecteurs inanimés (selles, arbres,…). Les lésions ont en outre apparemment une tendance à l'expansion donnant quelquefois lieu au détachement de grands lambeaux de peau. Il s'agit donc d'une pathologie potentiellement grave. La période de plus forte incidence est la fin de la saison des pluies. Un traitement intéressant, rapporté comme efficace, consiste en l'application de latex de Calotropis procera.

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