Connaissances ethnovétérinaires des pathologies camélines dominantes chez les Touaregs de la région d’Agadez (Niger)

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DISCUSSION

1. Entités vernaculaires identifiables

Certaines entités traditionnelles sont clairement assimilables à des entités scientifiques identifiées et étudiées en tant que telles, que l'étiologie soit déterminée ou pas. Ainsi, ajoud correspond très vraisemblablement à la gale sarcoptique (Sarcoptes scabiei var. cameli) et erk echik à la variole (Orthopoxvirus var. cameli), dans la transmission de laquelle les éleveurs soupçonnent l'implication des épineux tel qu'il est également rapporté dans la littérature (24). Une forme particulièrement sévère de celle-ci est signalée par les éleveurs comme ayant lieu en saison sèche et froide, ce qui s'oppose à la littérature qui rapporte une atténuation de l'expression clinique en saison sèche (7, 24). Anafad est une sinusite, ce qui confirme les résultats d'une étude précédente menée par Ag Arya (1) en 1998 à Tchin-Tabaraden. Toutefois, dans une autre étude semblable, menée en 1979, Mahaman (13) décrit sous le nom de nafed des abcès superficiels localisés au niveau du chignon. Concernant tadenak, une kérato-conjonctivite, l'image épidémiologique rapportée par les éleveurs, c'est-à-dire la déclaration de plusieurs cas sur de courtes périodes sans pour autant de réelle contagion, mériterait que soient précisées l'étiologie et l'éventuelle implication de mouches dans la transmission, à l'instar de ce qui s'observe chez le bovin avec Moraxella bovis. Aucun vers trouvé dans les glandes lacrymales n'a été rapporté mais la présence de Thelasia leesei n'est pas à écarter. Tandar est le charbon bactéridien à Bacillus anthracis. Il est intéressant de signaler à ce sujet que si Mustafa (18) prête à l'anthrax une grande importance pathologique chez le dromadaire comparable à celle de l'haemonchose ou de la gale, les éleveurs de la zone d'Agadez semblent plutôt affirmer que le dromadaire y est relativement résistant, les petits ruminants en étant la cible habituelle. Tafadi est une plaie de selle pouvant s'aggraver de myiases, notamment à Chrysomya bezziana. Tafasas et zlitey semblent correspondre à la lymphadénie à Corynebactérium pseudotuberculosis avec ses deux localisations principales que sont le ganglion rétro-maxillaire et le ganglion cervical inférieur. Toutefois, les éleveurs décrivent un gonflement chaud et douloureux. Des abcès froids et indolores sont signalés comme pathognomoniques dans la littérature (23). Parmi les maladies du chamelon, efay est la diarrhée, igardan désigne les infestations par les tiques, résultant chez le chamelon en un affaiblissement sévère et dans certains cas, en des paralysies à tiques. Concernant les pathologies néonatales, il est à noter que les éleveurs, conscients de l'importance de cette pratique, distribuent le colostrum aux chamelons tout au long de l’année. Worsadas correspond à l'entité classiquement dénommée nécrose cutanée contagieuse, dont l'étiologie est mal éclaircie puisqu'il pourrait s'agir selon les cas de dermatophiloses, corynébactérioses ou encore de staphylococcoses (6, 7, 24). Dendimi est une héméralopie par carence en vit A (20). Tarkâ est une mammite gangréneuse. Awras est un granulome de la sole sur corps étranger tandis que egges est un abcès de la sole sur corps étranger. Ellarh, dernière affection du pied signalée, est une abrasion de la sole. Il est intéressant de signaler qu'akarê, signalée comme semblable à erkechik (la variole) mais dépourvue de la gravité de celle-ci pourrait tout aussi bien regrouper sous ce nom des cas d'ecthyma contagieux (Parapoxvirus), de papillomatose, et de formes effectivement plus bénignes de variole. De la même façon, taforê semble désigner la teigne, qui est dès lors bien identifiée des éleveurs, mais des formes généralisées pourraient se retrouver sous la dénomination d’ajoud (la gale sarcoptique), cette classification se faisant notamment d'après l'extension des lésions. Menchach est la trypanosomiase à Trypanosoma evansi. Les signes de la maladie cités par les éleveurs de cette enquête, à savoir l'odeur de l'urine et l'arrachage facile des poils, sont les mêmes que ceux classiquement utilisés par les éleveurs de la Corne de l'Afrique (5, 12, 19). La faible fréquence de cette pathologie dans la région établie par une étude sérologique (21), confirme les témoignages des éleveurs.

2. Entités vernaculaires mal identifiées

Ces entités ne sont pas assimilables à des entités scientifiques précises, laissant, à défaut d'investigations plus poussées, leur interprétation au stade du diagnostic différentiel.
a. Les dénominations symptomatologiques
Un certain nombre d'entités rapportées lors de cette enquête ne font que désigner le symptôme dominant de l'affection, regroupant ainsi sous une même dénomination vernaculaire de potentiellement nombreuses entités nosologiques. C'est ainsi le cas de toza, la toux, d'elichlach, le jetage nasal, de tadanan, les coliques, d'irziman, le torticolis, ou encore de la folie. Concernant cette dernière, diverses causes nerveuses sont envisageables, telles que des méningites ou méningoencéphalites provoquées par les larves de Cephalopina titillator par perforation de l'os ethmoïde ou par continuité et contiguïté de tissu, ou la rage, identifiée par les éleveurs d'après la connaissance d'un historique de morsure par un chien enragé. De même, le torticolis est certainement à envisager chez le dromadaire comme une conséquence d'atteintes nerveuses de natures différentes telles que le tétanos, les paralysies à tiques ou les méningites (5). Pour ce qui est des maladies respiratoires, regroupées sous les noms de toza ou d'elichlach selon qu'elles s'expriment principalement par de la toux ou du jetage, des syndromes d'importances particulières sont souvent clairement désignés par les éleveurs sous ces dénominations générales. Ainsi, la forme décrite comme la plus importante de toza, fortement invalidante et potentiellement mortelle, semble être une broncho-pneumonie infectieuse. Cette pathologie ressort dès lors de cette enquête comme étant une contrainte majeure de l'élevage pastoral au Niger. La notion d'une évolution en 7 jours de la maladie est également présente dans l'étude de Mahaman (13). Concernant l'étiologie, l'intervention de Pasteurella multocida dans des cas sévères est envisagée dans la littérature (7, 13, 23, 25). Toutefois, ces affections sont a priori à considérer comme des complexes étiologiques. Dans le cas d'elichlach, une forme particulière nécrosante et létale est rapportée par les éleveurs. L'isolement de Streptococcus equi zooepidemicus serotype 2 dans un cas semblable de rhinite nécrosante est rapporté dans la littérature (10). L'intervention éventuelle des larves de Cephalopina titillator dans le développement de telles affections est à investiguer.
b. Syndromes déterminés
Certains syndromes semblent quant à eux clairement identifiés des éleveurs, une différence nette étant faite entre ceux-ci et d'autres syndromes aux symptômes dominants identiques. Ces entités pourrait donc potentiellement correspondre à des entités nosologiques précises. C'est le cas de izni, tataryat et de taras et lajouad. Izni constitue un cas particulier puisque cette dénomination regroupe deux types de syndromes, l'un de type aigu et l'autre d'évolution chronique, la cause invoquée, une surcharge en mauvais sang, étant la même dans les deux cas. Il s'agit donc d'une dénomination d'après l'étiologie supposée, de la même façon que dans les cas de tamne (l'oestrose caméline) et asolof (avortements par intoxication aux chenilles des acacias). Il est à noter que si dans le cas d'asolof, l'étiologie n'a pas encore été scientifiquement vérifiée, dans le cas de tamne il fut avéré durant cette enquête que l'insecte incriminé par les éleveurs n'était pas Cephalopina titillator (Photos 12, 13 et 14).

Imago de Cephalopina titillator
Photo 12: Imago de Cephalopina titillator obtenu par culture des larves récoltées à l'abattoir (pupes également visibles sur la photo). Les spécimens obtenus ont présenté le cycle suivant: pupaison de 48-72 h, métamorphose en 3 semaines et vie de l'imago de 1 semaine. Elle était inconnue des éleveurs.
Hyménoptère
Photo 13 : Hyménoptère présenté par les éleveurs comme l'insecte pondant dans les narines du dromadaire et jetant occasionnellement ses oeufs dans les yeux des humains. Le comportement de vol à proximité des yeux des animaux et des hommes de ces insectes ainsi que la discrétion de Cephalopina titillator pourraient être à l'origine de cette confusion.
Larves de Cephalopina titillator, au niveau des sinus frontaux
Photo 14: Larves de Cephalopina titillator, au niveau des sinus frontaux. La prévalence de ces larves autour d'Agadez semble approcher les 100%. Les éleveurs reconnaissaient ces larves comme étant celles infestant leurs dromadaires
(Photo. B. Faye)

Concernant la forme chronique d'izni, de manière générale, le diagnostic différentiel de l'amaigrissement (cachexie) chez le dromadaire peut être résumé aux verminoses gastro-intestinales et à la trypanosomose, cette dernière étant une pathologie clairement identifiée des éleveurs et clairement distinguée d'izni. De plus, le succès des traitements à l'ivermectine appuie l'idée que la plupart des cas d'izni sont en réalité des verminoses gastro-intestinales, ce qui est tout à fait en accord avec les éléments recueillis sur le terrain. Enfin, Pacholek et al. (21) présentent quant à eux clairement le mot izni comme signifiant " verminose gastro-intestinale " en tamacheq. Seule la forme aiguë est identifiée sous le nom d'izni (ezzini) par Mahaman (13). Il évoque, en plus des symptômes décrits ici, une congestion des muqueuses ainsi qu'une phase d'excitation suivie d'un coma et propose au vu de ces derniers signes, à côté d'un syndrome d' " insolation ", une éventuelle forme aiguë du charbon bactérien. Ces données cliniques, ainsi que l'association du déclenchement de la maladie à un stress (effort brutal, sous-alimentation, verminoses,…), poussent à envisager en outre dans le diagnostic différentiel la salmonellose et la pasteurellose. Cette dernière sera évoquée à propos de tataryat, dont l'expression clinique est à rapprocher de cette forme d'izni. Ag Arya (1) ne décrit pas quant à lui réellement le syndrome qu'il nomme azni. Quant à l'étiologie, se référant aux causes incriminées qui sont les mêmes que dans la présente étude (surmenage, eau croupie), il propose un dérèglement du métabolisme énergétique que ressentiraient subitement les fibres musculaires ou une infestation des eaux de breuvage par des parasites, l'usage de plantes réputées pour leurs vertus antiparasitaires en tant que traitements venant à l'appui de cette deuxième proposition. Celle-ci pourrait concerner la forme chronique d'izni, mais les verminoses gastro-intestinales aiguës ne peuvent être exclues du diagnostic différentiel d'izni forme aiguë. Quant à l'absorption d'eau croupie, associée dans la présente enquête à la forme chronique, si elle se voyait associée à la forme aiguë, pourrait faire plutôt penser à des cas de salmonellose ou d'entérotoxémie à Clostridium perfringens. Dans ce cas, la saignée, traitement traditionnel d'izni, pourrait être interprétée comme un moyen de lutte contre la toxémie par hémodilution. Concernant l'atteinte métabolique des fibres musculaires proposée, l'éventualité de l'intervention dans un certain nombre de cas d'une pathologie semblable à la myopathie à l'effort des équidés est effectivement vraisemblable.
Concernant le diagnostic différentiel de tataryat, les pathologies à prendre en compte sont le charbon bactéridien, la pasteurellose, l'haemonchose aiguë, le charbon bactérien, la salmonellose et l'entérotoxémie, toutes pathologies déjà mentionnées à propos de la forme aiguë d' izni. Bien que l'existence chez le dromadaire d'une forme de pasteurellose de type septicémie hémorragique semblable à celle présente chez les bovins est soumise à controverse (24), certains faits, outre la description donnée ici des gonflements de la tête et de la base du cou également rapportée par de nombreux auteurs dans des cas de septicémies hémorragiques présumées (3, 4, 9, 17), viennent en supporter l'hypothèse. Les lésions hémorragiques diverses et les lésions de pneumonie sévère ainsi que l'aspect normal de la rate et l'absence d'écoulement hémorragique par les orifices naturels enregistrés lors des autopsies des cas supposés de pasteurellose septicémique effectuées par les services d'élevage pourraient aussi corroborer cette hypothèse. Le dernier argument utilisé par celui-ci pour attester de la présence de pasteurellose dans la région est l'apparente efficacité des campagnes de vaccinations menées à Tchin-Tabaraden. Cet argument d'efficacité vaccinale est aussi rapporté dans la littérature (8, 17). En conclusion, bien que rien ne puisse être affirmé sur simple base de témoignages, malgré le manque de données claires dans la littérature et la possible fréquente confusion entre pasteurellose et anthrax qui y est faite (24), il serait possible que la pasteurellose ait dans cette zone une certaine importance comme le rapportent Wernery et Kaaden (24), pour le Tchad, le Soudan, la Mauritanie et le Sahara, c'est-à-dire toutes zones aux conditions comparables à celles de la zone de cette étude. Des études bactériologiques pourraient permettre de le confirmer.
En ce qui concerne taras, Mayhew (15) fournit pour les parésies et paralysies d'un membre le diagnostic différentiel suivant : des traumatismes d'un nerf périphérique ; une myopathie à l'effort comme observé chez le cheval ; des causes infectieuses telles que des myosites, des arthrites, la myélite vermineuse (Parelaphostrongylus tenuis chez la chèvre, mais présent uniquement sur le continent nord-américain) ou une ostéomyélite et des causes tumorales tels que les lymphosarcomes. Toutes ces pathologies n'ont pas été décrites chez le dromadaire mais constituent néanmoins d'éventuelles pistes à suivre. La vitesse de la fonte musculaire consécutive à la parésie ou paralysie est un facteur à prendre en compte dans la recherche du niveau de l'atteinte. Ici, les éleveurs décrivent la " mort " de la jambe en l'espace d'un mois. La fonte musculaire apparaît donc comme plutôt rapide. Une atteinte du segment de la moelle épinière duquel se détachent les nerfs moteurs concernés ou une atteinte des nerfs moteurs eux-mêmes sont donc à envisager, l'absence de tonus musculaire résultant de ce type de lésion entraînant une fonte musculaire rapide. Les traumatismes de nerfs périphériques seraient à mettre en relation avec les circonstances supposées de l'atteinte rapportées par les éleveurs. L'extension extrême des membres et l'adoption de positions inhabituelles par les dromadaires concernés pourraient effectivement entraîner des pertes d'équilibre ou fausses manœuvres avec élongation de muscles et des nerfs sciatique ou fémoral. Les traumatismes de la moelle épinière se traduisent plutôt par des symptomatologies bilatérales et nécessiteraient en outre des accidents plus violents qui seraient probablement connus des éleveurs. Pour ce qui est de la paraplégie brutale observée dans lajouad, Mayhew (14) émet le diagnostic différentiel suivant : un traumatisme de la moelle épinière ; des causes infectieuses telles que des myélites ou myéloencéphalites ; des causes parasitaires telles que la myélite vermineuse (présente en Amérique du Nord), la myélopathie embolique en cas d'infestation à Strongylus vulgaris comme chez le cheval, qui peut en outre être responsable de thromboses aorto-iliaques pouvant entraîner des symptômes comparables ; des causes toxiques telles que l'intoxication au sélénium, qui entraîne une polyomyélomalacie, ou l'effet retardé des intoxications aux organophosphorés ; des causes nutritionnelles telles que la myéloencéphalopathie dégénérative équine ou des myopathies nutritionnelles comme la nécrose des carrés des porcins ; une myopathie à l'effort du même type que celle des équins est une dernière affection musculaire à envisager. Cette dernière pathologie, qui a déjà été invoquée dans le syndrome nommé izni, est effectivement signalée dans la littérature (9, 12, 24). Concernant les causes parasitaires citées ci-dessus, des cycles accidentels et éventuellement abortifs de parasites d'autres espèces chez le dromadaire peuvent être envisagés. La migration dans la paroi aortique de Onchocerca armillata, rapportée chez le dromadaire (11), est le plus souvent dénuée de répercussions cliniques à l'instar de ce qui se passe chez les autres espèces. Son existence mérite toutefois d'être signalée ici dans le cadre des myélopathies emboliques et des thromboses aorto-iliaques. Les myopathies par carence au sélénium seraient également intéressantes à investiguer dans ce cadre, d'autant plus que des cas ont déjà été rapportés au Maroc (7). Il est toutefois à noter qu'elles touchent classiquement les jeunes individus. Le tableau clinique des cas de carences en cuivre relatés est quant à lui décrit comme frustre et non caractéristique par Faye (7). En Inde, le même auteur rapporte également des cas de paralysies par carence en magnésium, réversibles avec l'apport de sels de magnésie. La maladie de Kraff, qui semble associée à une carence en phosphore, est caractérisée par des désordres du métabolisme osseux : exostoses, fractures spontanées et paralysies (7). Les deux types d'intoxications cités ci-dessus sont intéressants à envisager. Effectivement, des intoxications au sélénium se manifestant par divers troubles locomoteurs sont décrites dans le sultanat d’Oman. Le dromadaire pourrait ainsi être très sensible à ce type d'intoxication (7), qui reste malgré tout peu vraisemblable dans des conditions alimentaires non intensives. La démyélinisation retardée par intoxication aux organophosphorés est par contre plus plausible étant donné l'usage assez fréquent qu'ont les Touaregs de la zone de pesticides divers, dont des organophosphorés, contre les fourmis mais également contre les tiques des dromadaires, bien que les animaux concernés par ces traitements soient plutôt les jeunes et que la forme irréversible de lajouad soit décrite chez les individus âgés. Les intoxications par les plantes représentent une autre possibilité comme il était envisagé par l'un des éleveurs. La responsabilité de Tribulus terrestris, plante présente dans la zone de cette étude, dans des symptômes locomoteurs divers est par exemple rapportée pour d'autres espèces que le dromadaire par Mayhew (14). La responsabilité de Capparis tomentosa dans des parésies du train postérieur chez le dromadaire est également rapportée dans la littérature (4, 12). Concernant la myopathie à l'effort, celle-ci est habituellement accompagnée de signes généraux prononcés dont il n'a été fait mention à aucun moment par les éleveurs dans le cas de lajouad. De plus, les circonstances ne se prêtent pas aussi bien à une telle interprétation que dans le cas de izni décrit plus haut. Afin de déterminer de façon certaine la nature et l'étiologie des atteintes responsables de lajouad et taras, une investigation plus poussée est évidemment nécessaire. Outre l'observation plus précise des symptômes présentés et des examens cliniques attentifs, des coupes histopathologiques de prélèvements musculaires ou médullaires et des prises de sang, afin de détecter une éventuelle inflammation, pourraient constituer une première étape riche d'informations.
c. Lésions d'étiologie indéterminée :
Appartiennent à cette classe les entités dénommées amanos (masse sublinguale et fissure du cal sternal, également appelée ameneyok), le goître hypothyroïdien congénital d'Ekirkiwi et tasrawin (excroissance jugale).
L'analyse histopathologique d'un prélèvement de masse sublinguale (amanos) fait à l'occasion d'une intervention chirurgicale traditionnelle n'a permis de mettre en évidence qu'une hyperplasie de la muqueuse qui semblait par ailleurs saine malgré une certaine fibrose, aucune cellule inflammatoire n'étant présente. Macroscopiquement, le prélèvement ne présentait effectivement qu'un aspect fibreux sans autres altérations. Les hypothèses en accord avec ces images microscopiques et macroscopiques sont celles d'un phénomène tumoral bénin ou malin ou encore d'une hyperplasie liée à une irritation chronique. En ce qui concerne la première hypothèse, une tumeur apparentée à l'épulis calcifiant, présent chez d'autres espèces animales, pourrait permettre d'expliquer l'aspect osseux rapporté unanimement par les éleveurs. La description rapportée par Ag Arya (1) ne permet pas plus de précision puisqu'une simple crevasse du cal sternal et une " plaie " sublinguale sont décrites. Le nom par lequel celui-ci désignait la maladie était awininak. Le nom de amanos était également cité dans cette étude pour désigner une toute autre pathologie (plaie aux pieds antérieurs), par ailleurs nommée adyal.
Concernant l'étiologie du goitre, il s'agit vraisemblablement d'une pathologie multifactorielle ayant pour base une prédisposition génétique liée à la consanguinité qui a pu être suspectée à partir des interrogatoires sur la gestion du troupeau, les deux campements partageant les mêmes mâles reproducteurs. Considérant une carence en iode, une pauvreté particulière des sols est envisageable. Le sel utilisé en complémentation des animaux est par contre le même que dans les campements indemnes. Du point de vue de la végétation et d'éventuels facteurs anti-thyroïdiens, la particulière abondance sur ces campements de Salvadora persica (ebousguine, famille : Salvadoraceae) et surtout de Shouwia thebaïca (alwad, famille : Brassicaceae) peut être signalée. Dans la littérature, des cas de goitres sont rapportés dans des régions aux sols et plantes carencés en iode comme celle du Darfur au Soudan (12).

CONCLUSION

Cette enquête démontre, par l'acuité de certaines observations et la correspondance entre de nombreuses entités vernaculaires et nosologiques, la grande expertise en pathologie animale développée par les éleveurs pastoraux. Toutefois, la reconnaissance des maladies se faisant sur base des symptômes, une entité scientifique à l'expression clinique polymorphe peut être classée sous diverses dénominations traditionnelles. Par prudence, le vétérinaire de terrain prendra toujours ces dénominations vernaculaires comme un diagnostic différentiel et non comme un diagnostic scientifique précis, sans perdre de vue que nombre de diagnostics vétérinaires sont cliniques ou anamnestiques, cas pour lesquels l'avis d'un éleveur aguerri est donc de grande valeur. Nonobstant ces possibles divergences entre médecine vétérinaire et savoirs ethovétérinaires, ceux-ci restent une base de discussion intéressante entre éleveurs et agents de santé animale, rendant dès lors impératif pour ces derniers d'en avoir une bonne connaissance afin qu'une prise en considération mutuelle puisse se faire et permette une collaboration efficace. Ce type de démarche s'est également révélée intéressante dans l'approche générale de l'état de la pathologie dans un type d'élevage donné et a permis ici de mettre en lumière certaines entités pas ou peu rapportées dans la littérature telles que amanos, le goitre, tasrawin, les avortements à chenilles (asolof), les kérato-conjonctivites (tadenak), les évolutions spectaculaires des sinusites (anafad et expulsion des globes oculaires), les paralysies à tiques (igardan) ainsi que les parésies et paralysies des membres postérieurs (lajouad et taras), toutes pathologies dont l'investigation ultérieure est des plus souhaitables. Un guide de traitement des maladies du dromadaire édité en langue touarègue est ainsi proposé aux éleveurs camélins de la zone en s'appuyant en partie sur ces connaissances empiriques, ce qui facilité l'appropriation de nouvelles technologies de traitement par les producteurs camélins.

REMERCIEMENTS

Nous tenons à remercier Hamo Assadek, directeur de la laiterie Azla Saveur d'Agadez, pour sa précieuse participation à l'enquête sur le terrain ainsi que l'ONG Karkara de Niamey, qui en a permis l'organisation.
Nous remercions également le Professeur Pascal Leroy, président de l'Institut Vétérinaire Tropical de la Faculté de Médecine Vétérinaire de l'Université de Liège, pour son soutien.
Merci aux Docteurs Dominique Cassart, Cédric Thomas et Sandra Jolly, du service d'anatomopathologie de la Faculté de Médecine Vétérinaire de l'Université de Liège, pour les coupes histopathologiques d'amanos.

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